PIERRE BUSCO
INTRODUCTION
Si l'on essayait de déterminer l'ensemble de connaissances qui ont le plus contribué а fixer notre
idée moderne de la Science, comme suite d'idées précises et liées entre elles, c'est sans doute а
l'Astronomie qu'il conviendrait d'accorder la premiere place.
Grâce а l'extrême simplicité, au moins apparente, des mouvements qu'elle étudie, grâce aussi а
l'éloignement et par suite а la petitesse pour nous des mobiles observes, qui sont l'image sensible la
plus rigoureuse de cette fiction de l'esprit qu'on appelle le point mathématique, l'Astronomie se trouvait
naturellement
indiquée
pour montrer а l'homme la valeur expérimentale de ses conceptions
geometriques. En même temps elle lui laissait entrevoir la possibilité d'une science rigoureuse de la
Nature, que la trop grande complexité des faits physiques et biologiques aurait pu faire révoquer en
doute а une intelligence encore mal assurée. Certes, puisque la science est avant tout l'expression d'un
pouvoir créateur de la Raison humaine, bien plutôt qu'un simple enregistrement passif de phénomènes
par l'esprit, des sciences telles que la Physique et la Chimie auraient toujours fini par apparaître, même
en supposant l'Astronomie impossible. Mais on peut affirmer qu'elles su seraient développées beaucoup
plus tard et plus timidement, puisqu'elles n'auraient pas eu, pour ainsi dire tout faits par la Nature, une
méthode et un type de raisonnement experimental pour les guider. Citons, а ce sujet, les belles
réflexions d'un savant mo derne, M. H. Poincaré1:
«...C'est l'Astronomie qui nous a appris qu'il y a des lois. Les Chaldéens, qui les premiers ont
regardé le ciel avec quelque attention, ont bien vu que cette multitude de points lumineux n'est pas une
foule confuse errant a l'aventure, mais plutôt une armée disciplinée. Sans doute les règles de cette
discipline leur échappaient, mais le spectacle harmonieux de la nuit étoilée suffisait pour leur donner
l'impression de la régularité, et c'était déjà beaucoup. Ces règles, d'ailleurs, Hipparque, Ptolémée,
Copernic, Képler les ont discernées l'une après l'autre, et enfin il est inutile de rappeler que c'est
Newton qui a énoncé la plus ancienne, la plus précise, la plus simple, la plus générale de toutes les lois
naturelles.
«Et, alors, avertis par cet exemple, nous avons mieux regardé notre petit monde terrestre et,
sous le désordre apparent, là aussi nous avons retrouvé l'harmonie que l'étude du ciel nous avait fait
connaître. Lui aussi est régulier, lui aussi obéit а des lois immuables, mais elles sont plus compliquées,
en conflit apparent les unes avec les autres, et un œil qui n'aurait pas été accoutumé а d'autres
spectacles n'y aurait vu que le chaos et le règne du hasard ou du caprice.
«...Combien de fois les physiciens, rebutés par tant d'échecs, ne se seraient-ils pas laissé aller au
découragement s'ils n'avaient eu, pour soutenir leur confiance, l'exemple éclatant du succès des
astronomes! Ce succès leur montrait que la Nature obéit а des lois; il ne leur restait plus qu'à savoir а
quelles lois; pour cela, ils n'avaient besoin que de patience, et ils avaient le droit de demander que les
sceptiques leur fissent crédit.
«Ce n'est pas tout: l'Astronomie ne nous a pas appris seulement qu'il y a des lois, mais que ces
lois sont inéluctables, qu'on ne transige pas avec elles; combien de temps nous aurait-il fallu pour le
comprendre, si nous n'avions connu que le monde terrestre, où chaque force élémentaire nous apparaît
toujours comme en lutte avec d'autres forces? Elle nous a appris que les lois sont infiniment précises, et
que si celles que nous énonçons sont approximatives, c'est parce que nous les connaissons mal.
«...Mais ces lois ne sont pas locales, variables d'un point а un autre, comme celles que font les
hommes; ce qui est la vérité dans un coin de l'univers, sur notre globe, par exemple, ou dans notre petit
système solaire, ne va-t-il pas devenir l'erreur un peu plus loin? Et alors ne pourra-t-on pas se demander
si les lois dépendant de l'espace ne dépendent pas aussi du temps, si elles ne sont pas de simples
habitudes, transitoires par conséquent et éphémères? C'est encore l'Astronomie qui va répondre а cette
1 H. Poincaré. La Valeur de La science Paris, Flammarion édit., 1906.
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