Mémoires Secrets
Sur
LA REGENCE
SOUVENIRS DE DUCLOS
avec Introduction et Notes
de MM. Maurice VITRAC et Arnould Galopin
PARIS
MODERN-COLLECTION
HISTORIQUE ET ANECDOTIQUE
ARTHÈME FAYARD
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INTRODUCTION
La destinée de Duclos peut paraître singulière.
Il fut en son temps, а l'égal de ses contemporains
Diderot ou Voltaire, un des grands personnages de la
république des lettres, il fut, plus qu'aucun écrivain,
chargé de titres et d'honneurs, membre de l'Académie des
inscriptions, secretaire perpétuel de l'Académie française,
historiographe de France: c'est а peine si son nom a
survécu dans la memoire des hommes. Conteur charmant,
moraliste aimable, historien averti, il écrivit excellemment
cette langue si claire et si classique du XVIII siecle, et
cela n'a point empêché son œuvre de glisser lentement а
l'oubli.
Il demeure l'auteur des Considérations sur les
mœurs, un livre qu'à quelques érudits près nul ne lit plus,
que seuls les curieux feuillettent d'un doigt distrait.
Au vrai, cette destinée, faite pour rendre modestes
les hommes, même de grand talent, est juste. Les œuvres
de Duclos sont éloignées du médiocre, sans doute, mais
aucune n'a les qualités qui assurent la pérennité. Comme
moraliste, il n'a ni la fine bonhomie de Montaigne, ni la
délicatesse de Vauvenargues, ni l'observation directe, non
plus la forme défini live d'un La Bruyere. Ses
Considérations sur les mœurs
n'ont rien de tres
particulierement personnel et sont а peine supérieures aux
œuvres d'oublies, un Senac de Meilhan ou même un
Mercier.
Conteur, il demeure а mi-chemin entre Marivaux
et Crebillon, auxquels il s'apparente, dont il a les defauts
sans en avoir toujours les qualités. Nous dirons ailleurs ce
que vaut son œuvre d'historien.
C'est donc а autre chose qu'à la valeur littéraire
qu'est due l'étonnante fortune de Duclos? Certes, et il
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MEMOIRES SECRETS SUR LA REGENCE
n'est pas très malaisé de le découvrir. Il fut un homme
d'esprit et, ce qui dans l'ordinaire de la vie est plus utile
encore, un habile homme.
De l'esprit, Duclos en eut infiniment et cela n'est
point pour surprendre qui a contemplé au musée de SaintQuentin
le trés veridique portrait que fit de lui de La Tour.
Dans l'ovale presque parfait du visage, les yeux attirent
aussitôt l'attention tant ils ont de lumineuse finesse et
d'éclatante ironie. La caractéristique de ce visage est а
n'en pas douter l'esprit: il semble que chaque trait
l'accentue encore: minceur du nez qu'on devine mobil,
finesse des lèvres marquees aux angles du pli d'un sourire
narquois.
Etre spirituel, au siècle de Voltaire, n'eût point
suffi а assurer la carrière de Duclos. Il eut par surcroît
l'habileté de faire carrière de son esprit, enfin d'apporter
dans
les lettres et dans la politique mieux qu'une
intelligence souple et un bon sens particulièrement averti,
une finesse toute normande. Car ce Breton a les qualités
d'un Normand et sa vie suffit а expliquer son succès.
Sa jeunesse qui fut celle d'un étudiant du XVIII
siècle est fort curieuse, non pour les incidents qui la
marquent, mais par les rapprochements qu'elle impose et,
pourrait-on dire, les souvenirs qu'elle évoque, tant elle
semble actuelle et pareille а celle d'un jeune bourgeois de
nos jours.
commerce maritime depuis plusieurs générations, Duclos
fut
Né а Dinan et d'une famille enrichie dans le
instruit а Paris, au pensionnat noble de MM. de
Dangeau, en compagnie de jeunes gens portant quelquesuns
des grands noms de France.
Au sortir du collège, il commença des etudes de
droit. Au mains l'assurait-il pour obtenir de sa mère, qui
était veuve et assez faible, un fructueux crédit. Dans le fait
il délaissait la jurisprudence pour des plaisirs plus
assurés et plus prochains. Cela dura jusqu'au jour où sa
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MEMOIRES SECRETS SUR LA REGENCE
famille connut la facilité de ses mœurs, qu'il était grand
buveur et ne progressait que dans l'ail de rosser le guet et
de lutiner tes filles. On crut expedient de le rappeler а
Dinan, où Duclos rentra, l'oreille basse. Ainsi qu'il
advient a'ordinaire а l'enfant prodigue, il goûta peu les
douceurs de la vie provinciale et les calmes affections de
la famille. Un an plus tard, il obtenait de sa mère de
revenir а Paris.
Dès ce retour, Duclos abandonna les rues
tortueuses de la vieille montagne Sainte-Geneviève, où
ilavait vécu la vie tapageuse d'étudiant, pour fréquenter
les cafés littéraires. C'était déjà la façon dont débutaient
dans les lettres les jeunes hommes épris de littérature.
De tournure élégante, fourni d'argent, spirituel et
plus avantageux que timide. Duclos emplit le Procope et
le Gradot des éclats de sa voix de trompette, point
intimidé par les ancêtres, les Maupertuis, les Saurin, les
Baron, non plus par les grands seigneurs qui se plaisaient
а dépenser leur fortune dans la compagnie de gens de
lettres. Un esprit de prime-saut, de l'âpreté dans la
discussion, le don de la réplique incisive et directe, une
certaine
rudesse
puissante qui dominant aisément le bruit des
conversations
affectée qui en imposait, une voix
particulières, autant de qualités et de
défauts qui firent assez tôt de Duclos un personnage.
De bel esprit de café, il devint par la protection
des Brancas, un bel esprit de salon, une manière d'homme
а la mode dont on colportait le, bons mots, souvent
mordants. Familier d'abord du cercle de Mme de Tencin,
où Marivaux et Pont de Neyle bavardaient avec
Montesquieu de choses légères et souvent gaillardes,
Duclos fut bien vile l'hôte de tous les salons. Ildîna le
mardi chez Helvétius, le
d'Holbach, les autres jours а la table de Mme du Deffand
ou du président Hénaull. Ce fut un joyeux convive, de
mœurs libertines, de propos plus libres encore et qui
jeudi et le dimanche chez
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MEMOIRES SECRETS SUR LA REGENCE
aimait а emprunter aux vins généreux les meilleurs éclats
de sa verve. Il advint que ne soupant jamais chez lui, mais
dépensant infiniment d'esprit aux soupers des autres et
n'ayant
rien
l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Duclos ne fut pas long а faire dans le monde un
second pas, plus profitable encore, Ami de Bernis, il se lia
par lui avec Quesnay, médecin de Mme de Pompadour, et
ne tarda pas а être l'un des familiers du cabinet de
Quesnay, ce coin des philosophes où la marquise déposait
toute majesté pour redevenir une grande dame spirituelle
et volontiers familière, qui illuminait les causeries de la
grâce de son sourire. Sous des dehors de franchise
brutale, avec des airs de bourru qui est le contraire d'un
courtisan, Duclos sut fort bien faire entendre aux
confidents de Mme dePompadour qu'il était tout dévoué au
Roi et а sa belle amie.
Comment ne pas croire а la sincérite d'un homme
qui parle toujours de sa liberte comme du premier des
biens, qui manque parfois de politesse, et dont les
manières brusque éloignent toute idee de dissimulation?
C'est un personnage difficile а jouer, Duclos avait
assez d'esprit pour y reussir. Il ne tarda pas du reste а
être recompense de ces soins et fut tour а tour maire de
Dinan, députe aux Etats de Bretagne, membre de
l'Academie française vers 40 ans, historiographe de
Trance, puis enfin, en 1755, secrétaire perpétuel de
l'Académie française.
Pour se rendre un compte а peu près exact de
l'importance qu'eut dés lors Duclos dans le monde des
lettres et dans le monde de la politique, il convient
d'examiner а cette date le rôle qui était départi а
l'Académie française.
écrit, Duclos fut nommé membre de
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