Michel Bakounine
Monsieur,
Vous avez dêsirê connaître quelques dêtails biographiques sur Bakounine. <...> Je suis profondêment sensible
à l'honneur que vous me faites en vous adressant à moi et en me donnant l'occasion de parler de cet homme
hêroïque avec lequel j'ai êtê très liê. <...> Puissent ces notes, êcrites à la hâte, vous servir à lui faire une couronne de martyr; il est digne, Monsieur,
d'en avoir une, tressêe par vos mains. <...> Vous avez aussi exprimê le dêsir d'avoir son portrait; avec le temps je parviendrai peut-être à faire venir
celui qui a êtê fait en Allemagne en 1843 et que j'ai vu en Russie. <...> En attendant, pour vous
donner une idêe des traits de Bakounine, je vous recommande les vieux portraits de Spinoza, qu'on trouve dans
quelques êditions allemandes de ses êcrits; il y a beaucoup de ressemblance entre ces deux têtes. <...> Michel Bakounine est maintenant âgê de 37 à 38 ans. <...> Il est nê d'une vieille famille aristocratique et dans une position êgalement êloignêe d'une grande richesse
et d'une indigence gênante. <...> C'est le milieu dans lequel il y a le plus de lumière et de mouvement en Russie. <...> Pour
vous donner, Monsieur, une idêe de ce qui s'agite et fermente au fond de ces familles, si tranquilles à la surface, il
me suffira d'ênumêrer le sort des oncles de Bakounine, des Mouravioff, auxquels il ressemblait beaucoup par sa
haute taille un peu voûtêe, par ses yeux bleu-clair, par son <...>
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А. И. Герцен
Michel Bakounine
Михаил Бакунин (перевод)
А. И. Герцен. Собрание сочинений в тридцати томах.
Том седьмой. О развитии революционных идей в России. Произведения 1851-1852 годов
М., Издательство Академии Наук СССР, 1956
Дополнение:
Том тридцатый. Книга вторая. Письма 1869--1870 годов. Дополнения к изданию.
М., Издательство Академии Наук СССР, 1965
OCR Бычков М. Н.
Michel Bakounine
Monsieur,
Vous avez dêsirê connaître quelques dêtails biographiques sur Bakounine. Je suis profondêment sensible
а l'honneur que vous me faites en vous adressant а moi et en me donnant l'occasion de parler de cet homme
hêroïque avec lequel j'ai êtê très liê.
Puissent ces notes, êcrites а la hâte, vous servir а lui faire une couronne de martyr; il est digne, Monsieur,
d'en avoir une, tressêe par vos mains.
Vous avez aussi exprimê le dêsir d'avoir son portrait; avec le temps je parviendrai peut-être а faire venir
celui qui a êtê fait en Allemagne en 1843 et que j'ai vu en Russie. Il est assez ressemblant. En attendant, pour vous
donner une idêe des traits de Bakounine, je vous recommande les vieux portraits de Spinoza, qu'on trouve dans
quelques êditions allemandes de ses êcrits; il y a beaucoup de ressemblance entre ces deux têtes.
Michel Bakounine est maintenant âgê de 37 а 38 ans.
Il est nê d'une vieille famille aristocratique et dans une position êgalement êloignêe d'une grande richesse
et d'une indigence gênante. C'est le milieu dans lequel il y a le plus de lumière et de mouvement en Russie. Pour
vous donner, Monsieur, une idêe de ce qui s'agite et fermente au fond de ces familles, si tranquilles а la surface, il
me suffira d'ênumêrer le sort des oncles de Bakounine, des Mouravioff, auxquels il ressemblait beaucoup par sa
haute taille un peu voûtêe, par ses yeux bleu-clair, par son front large et carrê, et même par sa bouche assez
grande.
Une seule gênêration de la famille des Mouravioff donna trois individus magnifiques а l'insurrection du
14 dêcembre (deux êtaient parmi les membres les plus influents; l'un fut pendu par Nicolas, l'autre pêrit en
Sibêrie), un bourreau aux Polonais, un procureur gênêral au Saint-Synode et, enfin, une êpouse а l'un des
ministres de S. M.
On peut se figurer l'harmonie et l'unitê qui rêgnent dans des familles composêes d'êlêments aussi
hêtêrogènes.
Michel Mouravioff, le gouverneur militaire de Vilna, aimait а rêpêter: "Je n'appartiens pas aux
Mouravioff que l'on pend, mais а ceux qui font pendre".
Bakounine a passê son enfance dans la maison paternelle, а Tver, et près de cette ville dans les
possessions seigneuriales de son père. Celui-ci qui passait pour un homme d'esprit et même pour un vieux
conspirateur du temps d'Alexandre, ne l'aimait pas trop et se dêbarrassa de lui, dès qu'il Га pu. 11 le plaèa dans
une êcole d'artillerie а Pêtersbourg.
Les êcoles militaires en Russie sont atroces, c'est là que l'on forme, sous les yeux mêmes de l'empereur,
les officiers pour son armêe. C'est là qu'on "brise l'âme" aux enfants et qu'on les dresse а l'obêissance passive.
L'esprit vigoureux et le corps robuste de Bakounine passèrent heureusement а travers cette rude êpreuve. Il finit
ses êtudes et fut admis au service, comme officier d'artillerie. Son père voulant l'êloigner, fit, par l'intermêdiaire
Стр.1